Est-ce l'approche de l'automne, de ses mélancoliques bourrasques fichant dans le visage de l'innocent promeneur quelques baquets de flotte et de feuilles mortes, de ses ensoleillements inopinés nous rappelant que, finalement, le réchauffement climatique ça peut avoir du bon, qui suscite cet article ?
Il s'agit plutôt du feuilletage au hasard des Étymologies curieuses de Pierre Larousse, qui offre sur une acception de cet adjectif un éclairage inattendu et réjouissant. Alain Rey, dans son Dictionnaire historique de la langue française, se fourvoie lorsqu'il dit que ce "gris" désigne un état d'ébriété "sans doute parce que dans cet état les choses apparaissent comme une grisaille, un brouillard" : il n'est pas ici question de couleur.
Lorsqu'on s'est quelque peu adonné à la boisson, on est gris depuis les Romains, qui voyaient dans les Grecs une population de débauchés chroniques. De là, leur expression "boire comme un Grec" (graecari). L'expression perdure en français jusqu'à la période des croisades, où elle devient "boire comme un grieu" et, par ellipse, "être gris". Ce même malheureux Grec donnera aussi l'avare "grigou" en passant par la langue d'Oc.
Dans ses merveilleux Mots du vin et de l'ivresse (1984), Martine Châtelain-Courtois relève plusieurs cas de "gris" : on peut être gris comme un cordelier, comme un Polonais, comme un templier (un ordre qui rassemble décidément tous les vices) ou, de façon plus inattendue, comme un âne, toujours pour désigner l'état alcoolisé, et pas la couleur comme on pourrait pourtant s'y attendre.
Dans son Argot des soldats (1917), Willy Hunger note que, dans les tranchées, le bon sens avait repris les choses en main puisqu'on y boit pour se rougir la trogne. Enfin, les choses sont claires !
Virée dans les méandres les plus improbables de la langue écrite, en compagnie de Vincent Avenel, correcteur professionnel.
vendredi 28 août 2020
Quelques nuances de gris
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