jeudi 20 février 2020

Crever les yeux


En 1808, Charles-Louis d'Autel publie un Dictionnaire du bas langage, sur la page de garde duquel figurent ces lignes très informatives : « ouvrage dans lequel on a réuni les expressions proverbiales, figurées et triviales ; les Sobriquets, termes ironiques et facétieux ; Les Barbarismes, Solécismes ; et généralement les locutions basses et vicieuses que l'on doit rejeter de la bonne conversation. »

C'est qu'on savait vendre, à l'époque de monsieur d'Autel ! Un ouvrage regroupant des « locutions basses et vicieuses, » peut-on trouver meilleur argument de vente ? Toujours est-il que devant pareille introduction, le curieux de langage se précipite et, parmi les multiples pépites, ma foi parfois fort basses et vicieuses, dégote un « Cela lui crève les yeux. Se dit d'une chose visible, qu'une personne ne peut trouver quelque recherche qu'elle fasse. »

Pour l'auteur de ces lignes, il est temps de marquer un temps d'arrêt : « crever les yeux » n'évoquait, jusqu'à maintenant, qu'une chose tellement évidemment visible qu'elle serait un danger quasiment physique pour les yeux de la personne la recherchant. Mais voici un sens ancien, à la signification plus complexe mais aussi plus logique : quelque chose d'évident mais qui nous échappe

Après quelques recherches dans les dictionnaires, le mystère demeure : Littré dans son dernier dictionnaire, ainsi que Furetière, cent ans avant d'Autel, conserve le sens intégral, mais la plupart des autres dictionnaires actuels adoptent celui de l'expression édulcorée. Plus étonnant : le Larousse adopte le sens moderne... en citant partiellement Furetière. 

Quand l'usage a-t-il renversé l'expression ? Mystère. Quel emploi choisir ? Généralement, on privilégiera l'usage, mais il y a tout de même de quoi générer une belle foire d'empoigne linguistique.


jeudi 6 février 2020

Bougie


"Bougie" se partage, avec "chandelle" et "cierge", le domaine de l'émission de la lumière avant l'avènement de l'éclairage électrique. "Cierge" n'a guère attendu avant de revêtir les habits sacerdotaux, laissant ses deux camarades batailler pour ce qui est de la lumière profane. 

"Bougie" tire son nom de la francisation du nom de la ville algérienne de Bijaya, ou Bejaya, productrice de longue date d'une cire de bonne qualité. La "bougie" désigne au départ (vers 1300) la cire elle-même, puis elle va s'employer par métonymie pour l'objet entier (l'emploi est attesté en 1498). 

Ce qui différencie la bougie de la chandelle, c'est donc la qualité du matériau : pour Furetière (1690), la bougie désigne un objet prisé dans les cercles aristocratiques, à la cire pure, tandis que la chandelle du peuple est riche en suif. 

Par la suite, "chandelle" va donc dériver vers le langage populaire, tandis que "bougie" ne connaît de dérivés que dans les domaines savants : la mécanique et la médecine, notamment. On note cependant un emploi argotique, la bougie désignant ici le visage d'une personne, probablement lorsque celui-ci est d'une grande pâleur. 

La chandelle n'est pourtant pas seulement vouée aux bouges infâmes et aux bas-fonds : elle a également donné son nom à "candella", l'unité de mesure de l'intensité lumineuse (avec "lux" qui mesure l'éclairement, "phot", qui vaut 10.000 Lux, "nit", qui mesure la brillance et "lumen", le flux lumineux. Ouf.). La chandelle est enfin à l'origine de la Chandeleur, en référence aux chandelles portées à cette date dans les processions catholiques de la présentation de Jésus au temple. Chandelles de Chandeleur, bougies d'anniversaire : pourquoi choisir ? 



Un peu de romance

Joie et bonheur, voici que nous arrive la Saint-Valentin, fête des amoureux ô combien sincère et dénuée de toute dimension commerciale ! Que...