En 1808, Charles-Louis d'Autel publie
un Dictionnaire du bas langage,
sur la page de garde duquel figurent ces lignes très informatives :
« ouvrage dans lequel on a réuni les expressions proverbiales,
figurées et triviales ; les Sobriquets, termes ironiques et
facétieux ; Les Barbarismes, Solécismes ; et généralement
les locutions basses et vicieuses que l'on doit rejeter de la bonne
conversation. »
C'est
qu'on savait vendre, à l'époque de monsieur d'Autel ! Un
ouvrage regroupant des « locutions basses et vicieuses, »
peut-on trouver meilleur argument de vente ? Toujours est-il que
devant pareille introduction, le curieux de langage se précipite et,
parmi les multiples pépites, ma foi parfois fort basses et
vicieuses, dégote un « Cela lui crève les yeux.
Se dit d'une chose visible, qu'une personne ne peut trouver quelque
recherche qu'elle fasse. »
Pour l'auteur de ces lignes,
il est temps de marquer un temps d'arrêt : « crever les
yeux » n'évoquait, jusqu'à maintenant, qu'une chose tellement
évidemment visible qu'elle serait un danger quasiment physique pour
les yeux de la personne la recherchant. Mais voici un sens ancien, à
la signification plus complexe mais aussi plus logique : quelque
chose d'évident mais qui nous échappe.
Après quelques recherches dans les dictionnaires, le mystère
demeure : Littré dans son dernier dictionnaire, ainsi que
Furetière, cent ans avant d'Autel, conserve le sens intégral, mais
la plupart des autres dictionnaires actuels adoptent celui de
l'expression édulcorée. Plus étonnant : le Larousse adopte le
sens moderne... en citant partiellement Furetière.
Quand
l'usage a-t-il renversé l'expression ? Mystère. Quel emploi
choisir ? Généralement, on privilégiera l'usage, mais il y a
tout de même de quoi générer une belle foire d'empoigne
linguistique.
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