Joie et bonheur, voici que nous arrive la Saint-Valentin, fête des amoureux ô combien sincère et dénuée de toute dimension commerciale ! Que dites-vous ? "Sarcasme" ? Je ne suis pas romantique pour un sou ? Soit.
Car voyez-vous, si on s'en tient au sens originel strict, "romantique" tient tout autant de l'horticulture que de la fidélité au sentiment amoureux. À la fin du XVIIème siècle, le français emprunte à l'anglais son "romantic", "qui a trait aux sentiments et aux idées provoqués par la lecture d'un roman", mais le mot sera employé avant toute chose pour décrire les jardins et paysages. Watelet, dans son Essai sur les jardins (1774), définit trois caractères à la décoration des jardins : le pittoresque, le romantique et le poétique. À cet époque, le mot s'oppose à "romanesque", "qui a le caractère merveilleux et chimérique du roman". En 1781, les Rêveries de Rousseau hésitent entre les deux emplois.
À la fin du XVIIIème siècle, l'adjectif se rapproche encore de romanesque, ainsi que de "sentimental" dans l'univers de la description du voyage. On lui attache bientôt le mystère, l'imagination et la mélancolie. Le mot serait cependant tombé en désuétude s'il n'avait pas trouvé une nouvelle vitalité venue de l'allemand "romantisch", qui n'a pas grand chose à voir, son sens le rapprochant de "qui a trait à la littérature chrétienne médiévale", sens dans lequel l'emploient Hugo et Mme de Staël - la dimension littéraire du terme vient donc de l'allemand. Mais nous retournons de l'autre côté de la Manche dans les premières années du XIXème siècle pour y trouver le sens moderne, celui d'artiste partisan du romantisme, qu'on attache tout d'abord aux écrivains faisant référence à William Shakespeare, puis à tous les auteurs tournés vers l'Angleterre. Vers 1837, romantique prend le sens attesté de "personne se conduisant selon les codes du romantisme", et nous voilà en route pour le sens moderne.
Entre l'Angleterre et l'Allemagne, la réputation caricaturale du Français comme intrinsèquement romantique est donc bien mise à mal. Sans parler du Suisse, avec son "romand" qui n'a rien à voir, mais aurait peut-être voulu tout de même avoir sa part à l'avènement d'une notion aujourd'hui si centrale.
Sur ces mots
Virée dans les méandres les plus improbables de la langue écrite, en compagnie de Vincent Avenel, correcteur professionnel.
jeudi 11 février 2021
Un peu de romance
mardi 19 janvier 2021
La lanterne
On retrace les origines du mot "lanterne" jusqu'au latin "lanterna" au début des années 1000, venant du grec "lamptêr, vase à feu où l'on brûlait des flambeaux" (qui donnera également naissance à la lampe). Donc, lanterne vient du mot qui signifiait "lanterne", il y a de ça quelque mille ans ? Donc on arrête là, c'est bon ? Halte-là ! Le plus court chemin du point "lanterne" 1080 vers le point "lanterne" 2021 est un long voyage circulaire, bordé d'étapes iconoclastes et de significations oubliées. En route !
Aux alentours de 1210, "lanterne" entre dans la locution "vendre vecies por lanternes", qui deviendra notre célèbre "prendre des vessies pour des lanternes" : ce sens figuré signifiant "contes absurdes et ridicules", est considéré comme très vivace entre le XVIème et le XVIIIème siècle - gageons que l'image d'une étrange lampe avec une bougie dans une vessie gonflée nous est parvenue intacte. On rencontre aussi l'emploi de lanterne pour un fanal suspendu par une corde à une potence, sur la voie publique - c'est à cette lanterne que fait référence la chanson populaire pendant la Révolution, qui proposait de remplacer ladite lanterne par "les aristocrates". Est-ce donc cela qu'on appelle l'héritage de la philosophie des lumières ?
On rencontre d'autres lanternes : en architecture, en technique cinématographique, en technique automobile... La plus réjouissante restant la "lanterne d'Aristote" qui désigne l'appareil masticatoire de l'oursin ; l'une des plus inattendues prête à "lanterne" le sens de "pénis", ce qu'on pourra considérer comme quelque peu arrogant.
mardi 12 janvier 2021
Buvez des pommes
Entre l'Épiphanie et la Chandeleur, le début de l'année calendaire est, traditionnellement, placé sous le signe du cidre, pétillante déclinaison du jus de pomme à l'alcool modeste - et objet d'une guerre fratricide entre Normands et Bretons : doux, ou brut ?
On se promène tout de même entre 2 et 4 degrés d'alcool par litre, la question est donc d'importance ! Comme s'il n'y avait pas assez du mont Saint-Michel pour s'étriper entre voisins. Dans le domaine de la production alcoolique, où la production déclarée peut ravager des papilles avec des whiskies à 60 degrés, et où la production illégale atteint de tels sommets que, pour paraphraser Michel Audiard, ça rend aveugle, le cidre fait donc figure de modeste contributeur.
On s'amusera donc de ce que le mot nous vienne du latin "sicera", désignant une boisson fermentée, venu lui originellement de l'hébreu "śēkār" (liqueur forte, liqueur empoisonnante) et "śākar" (boire à l'excès, jusqu'au malaise). Il y a fort à parier que le cidre tel qu'il existait lorsque de ses premières apparitions dans le langage (XIIème siècle) était un rien plus fort que celui d'aujourd'hui - et qu'on peut donc comprendre d'autant mieux le patrimoine génétique dentaire altéré des Normands comme des Bretons.
Notons enfin que Furetière parle pour le cidre de poire, de "poiré" - une acception toujours en usage, mais également de "pommé" pour un cidre de pomme. Côté force de cidre, la bataille reste à mener, mais côté hégémonie fruitière, la pomme a donc remporté la partie.
jeudi 1 octobre 2020
Ça sent bon l'automne
En ce début octobre 2020, l'automne, enfin, semble vouloir s'éloigner des chaleurs pesantes : les températures chutent, la nuit s'installe de plus en plus tôt, les pluies s'abattent. Ouf, les clichés romantiques sont servis ! On ne saurait en vouloir à Verlaine pour ses sanglots longs des violons de l'automne, même si le poète perpétue - parmi tant d'autres - l'idée que l'automne est la saison du déclin, de la pente sinistre descendant vers l'hiver.
Et pourtant, il n'en a pas toujours été ainsi : on date généralement l'apparition du mot automne dans la langue française au XIIIème siècle. Probablement issu du latin augeo, augere (augmenter, croître), automne remplace gain, ou regain, le terme employé jusque là pour désigner cette saison qui est, avant tout, celle des récoltes et de l'abondance. De son étymologie, on peut déduire qu'automne est encore, à ce moment-là, lié à cette idée de foisonnement agricole. Peut-être serait-ce aussi les attributs d'une hypothétique divinité nommée Autumnus, qu'on retrouve parfois proposée dans les origines du mot ?
Il faut bien reconnaître cependant que les connotations d'abondance, de récolte, de foisonnement automnaux sont aujourd'hui profondément associées à la mélancolie chère aux poètes romantiques.
Mot étrange pour une saison baroque, coincée entre l'absolu de l'été et de l'hiver, automne présente aussi une curiosité linguistique : le mot a en effet longtemps été des deux genres, suivant sa place dans la phrase. Et ce n'est pas simple :
- si un adjectif est placé avant, automne est masculin : un merveilleux automne ;
- si un adjectif est placé après, automne est féminin : une automne somptueuse ;
- mais, si un verbe ou un adverbe se placent entre automne et ledit adjectif, automne redevient masculin : cette automne est somptueux.
L'usage, aujourd'hui, consacre automne masculin, mais peu importe : s'il vous prend l'envie de vous laisser aller à la poésie, saisissez-vous donc de cet automne changeant, protéiforme, virevoltant, et qui permet toutes les audaces créatives.
vendredi 28 août 2020
Quelques nuances de gris
Est-ce l'approche de l'automne, de ses mélancoliques bourrasques fichant dans le visage de l'innocent promeneur quelques baquets de flotte et de feuilles mortes, de ses ensoleillements inopinés nous rappelant que, finalement, le réchauffement climatique ça peut avoir du bon, qui suscite cet article ?
Il s'agit plutôt du feuilletage au hasard des Étymologies curieuses de Pierre Larousse, qui offre sur une acception de cet adjectif un éclairage inattendu et réjouissant. Alain Rey, dans son Dictionnaire historique de la langue française, se fourvoie lorsqu'il dit que ce "gris" désigne un état d'ébriété "sans doute parce que dans cet état les choses apparaissent comme une grisaille, un brouillard" : il n'est pas ici question de couleur.
Lorsqu'on s'est quelque peu adonné à la boisson, on est gris depuis les Romains, qui voyaient dans les Grecs une population de débauchés chroniques. De là, leur expression "boire comme un Grec" (graecari). L'expression perdure en français jusqu'à la période des croisades, où elle devient "boire comme un grieu" et, par ellipse, "être gris". Ce même malheureux Grec donnera aussi l'avare "grigou" en passant par la langue d'Oc.
Dans ses merveilleux Mots du vin et de l'ivresse (1984), Martine Châtelain-Courtois relève plusieurs cas de "gris" : on peut être gris comme un cordelier, comme un Polonais, comme un templier (un ordre qui rassemble décidément tous les vices) ou, de façon plus inattendue, comme un âne, toujours pour désigner l'état alcoolisé, et pas la couleur comme on pourrait pourtant s'y attendre.
Dans son Argot des soldats (1917), Willy Hunger note que, dans les tranchées, le bon sens avait repris les choses en main puisqu'on y boit pour se rougir la trogne. Enfin, les choses sont claires !
jeudi 2 avril 2020
Raccourcis clavier pour capitales accentuées
jeudi 20 février 2020
Crever les yeux
Un peu de romance
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